Prologue
Nous vous avions laissé le 22 Avril 2017, aux portes de Colmar, à l’occasion d’un retour et de retrouvailles aussi émouvantes que difficiles pour nous parce qu’elles signifiaient la fin de cette fabuleuse tranche de vie. La page du voyage était tournée, une nouvelle étape de la vie s’ouvrait à nous.

Et depuis, que sommes-nous devenus ? A force de lire des blogs de longs voyages, j’ai découvert qu’il y avait plusieurs scénarios qui revenaient fréquemment :
- Scénario 1 : la famille s’agrandit ! Un.e nouvel.le explorateur.trice rejoint la troupe.

- Scénario 2 : après avoir passé 24h/24 et 7/7 ensemble, on se connait suffisamment bien pour savoir qu’il est temps de se séparer.

- Scénario 3 : Changement de vie. On change de boulot, d’amis, de rapport à la société de consommation. On retourne au sacro-saint « essentiel » plus près des valeurs qui nous ont porté pendant le voyage. On réalise un vrai projet de vie dans lequel on n’osait pas se lancer avant.

- Scénario 4 : On reprend le boulot, peu de choses ont changé, et c’est la déprime et la désolation.

- Scénario 5 : On programme le prochain voyage.

Les scénarios étant tout à fait cumulables.
Mais nous, on est habitué au plan qui ne se déroule jamais comme prévu. Et hop, nous voilà plongés dans un scénario tout à fait original : le voyage au pays du cancer. A peine deux mois après le retour tout s’est enchainé pour moi : tumeur cancéreuse confirmée, chimio, opération, rayons, rééducation etc. De cette expérience de vie est née l’association « en avant les amazones ! » pour permettre à des femmes touchées par le cancer de reprendre confiance en elles après les traitements par la pratique du vélo et la dynamique de groupe. Plus d’informations : https://www.facebook.com/En-Avant-Les-Amazones-1755390524509132/

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que c’est un blog de voyage et que cette expérience de vie a tout d’un voyage : des hauts, des bas, des épreuves, des rencontres, des découvertes, et une certaine forme de résilience. Et parce que maintenant, rien ne sera plus jamais comme avant. Avoir en tête ce parcours vous aidera à mieux comprendre l’état d’esprit qui nous habite maintenant. Et le pourquoi du comment de la nouvelle coupe de cheveux.
Autre nouveauté ! Dorénavant, nous ne sommes plus deux mais trois. Un indice : le nouveau membre de l’équipe préfère croquer les lapins que de dormir avec les modèles en peluche. Il s’appelle Pandji, adopté à l’âge d’un an, il est aussi fou que gentil et… il pèse 25 kilos et sa remorque 17. C’est Benoit qui le tire quand il ne court pas à côté de nous. Comme ça il est à peu près au même niveau que moi après la chimio. Notre moyenne quotidienne tourne désormais autour des 40 km/jour. Éloge de la lenteur!

Mais pour autant, depuis 2017, nos vélos ne sont pas restés dans les cartons. En octobre 2018, une semaine après la fin de mes traitements, on longeait la Via-Rhona, avant de se hisser à la force des mollets sur le plateau Ardéchois, qui a eu, du coup, le goût délicieux d’un accomplissement et d’une grande victoire de la vie. Quelques jours après, le sentiment était encore plus fort quand nous nous sommes hissés de la plaine drômoise au plateau du Vercors. Le Vercors, ce petit bout de montagne et de hauts-plateaux dont on est tombés amoureux il y a quelques années et qu’on était heureux de traverser à vélo.
En 2019, la santé est revenue au beau fixe mêmes si toutes les petites séquelles n’ont pas tout à fait disparu. On change tous les deux de boulot. Difficile dans cette configuration de prendre beaucoup de congés. Mais pourtant, on a des fourmis dans les jambes. Envie de retrouver la sensation du dépaysement, de trouver de grands espaces, de bivouaquer, de pédaler. Après d’âpres négociation, Benoit, qui ne voulait pas de chien, accepte l’idée de laisser Pandji entre de bonnes mains, et on s’autorise l’idée de prendre l’avion. Le blog de la famille Tsaga nous inspire : direction la Georgie, petit pays au coeur du Caucase, pour trois semaines !
Et c’est parti… Direction Tbilissi
27 septembre : tout bon voyage commençant par un bon coup de stress, nous arrivons à l’aéroport de Strasbourg confiants, vélos bien emballés et déjà enregistrés, quand l’hôtesse au comptoir nous dévisage et tourne dans tous les sens le passeport de Benoit.
Hôtesse : « Désolé, il n’est pas valable ».
Benoit « Mais bien sûr que si madame, nous l’avons fait refaire à Vientiane il y a deux ans, il est valable dix ans, regardez c’est écrit là, valable jusqu’au 18 octobre 20………..18 !!! »
« Putain Benoit tu fais chier ! » (vous avez reconnu Alice).

Note pour plus tard : quand on fait prolonger un passeport à l’étranger pour nombre de pages insuffisant il est juste valable jusqu’à la date de péremption de l’initial. En attendant, on est devant le comptoir, comme des cons. Je vous imagine tous en train de m’imaginer vociférant au coeur de l’aéroport. Que nenni. La nouvelle moi est un ersatz du dalai lama. C’est dans un calme olympien que je tends la carte d’identité de Benoit à l’hôtesse qui tente de l’enregistrer comme document de voyage. Et miracle, ça passe ! La Géorgie est un des rares pays hors UE à accepter une simple carte d’identité, en théorie au moins. On verra aux douanes en arrivant. Le voyage démarre.
Escale à Istanbul. L’aéroport s’est transformé en centre commercial de luxe géant. On ère, épuisés, comme des âmes en peine dans les allées lumineuses de sacs, chaussures, smartphones pendant 11h d’escale. Le temps tout de même d’apprécier la cuisine turque qui nous avait manqué.

Et enfin, à 3h du matin heure géorgienne, nous débarquons à Tbilisi. Évidemment, Benoit et sa carte d’identité peinent à passer la barrière d’une douanière zélée qui se lance dans un véritable interrogatoire, ayant bien peu de chance de déboucher sur une issue intéressante vu le niveau en anglais des deux protagonistes. Heureusement, une deuxième douanière parlant français s’immisce et accepte de faire entrer Benoit en Géorgie. Après 14h de suspens, on est relativement soulagés !
Chako qui gère la guesthouse dans laquelle nous dormirons les prochains jours, nous cueille avec sourire et énergie à l’aéroport, mais déchante un peu en voyant la taille des cartons à entrer dans la voiture de son ami. C’est à ce moment-là que le voyage démarre vraiment : partie de tétris pour tout rentrer dans la voiture, traversée de la capitale à deux sur un siège, on retrouve les sensations de grand n’importe quoi qui excitent nos esprits vagabonds. Chako est un polyglotte qui a tout appris sur le tas, de contrats en pro en contrats pro, en Allemagne, Grèce, Italie, Turquie…
A 5h du matin, on se couche enfin. A 10h, on se lève. Et on part découvrir les ruelles et les grandes allées de Tbilisi. Elle est surprenante cette ville : entourée de collines, traversée de rivières, l’authentique et l’ancien y côtoient l’hyper moderne dans une surprenante proximité, sans transition. Les rues sont parsemées d’oeuvres de street-art, la vie nocturne bat son plein, les jeunes en tenues underground côtoient les vieilles dames en longues robes noires et tabliers. On s’y plait. Mais les stigmates des bombardements de 2008 opérés par la Russie sont encore bien présents partout (si vous voulez en savoir : Wikipédia. Cet article est déjà assez long comme ça… et si on était cultivé, ça se saurait).
Le dimanche est consacré au remontage des vélos. Et à aller arpenter le bazar de Tbilisi. Chako a lu que pour voyager en train, il fallait obligatoirement que nos vélos voyagent en sac. Donc il pense que si quelqu’un nous dit quelque chose, il faut qu’on sorte un sac. En mode « intouchables » : nanana j’ai mon sac ! Il nous indique très précisément le stand du bazar géant où on trouvera notre bonheur. On embarque dans une matroucshka, un fourgon a 15 places où la moitié des voyageurs sont debout qui vient concurrencer tout à fait librement le système de transport public. Avec même un numéro de ligne et un tarif unique.


Le bazar. Quel plaisir de retrouver le bazar ! les stands s’enchainent par « quartiers » : quartiers des fruits, quartier des téléphones, quartier des produits ménagers, quartiers des chapeaux, quartier des valises et… le quartier des emballages. Oui, des gens qui ne vendent que des emballages. Tous à peu près les mêmes, c’est toujours surprenant de se demander comment les gens vivent de ça. On peine à trouver un sac qui puisse contenir nos vélos. En désespoir de cause on se replie sur stand situé pile-poilsur le point GPS que Chako nous avait indiqué. Et c’est ce qu’il aurait fallu faire depuis le début parce qu’en effet, ce stand-là a des grandes bâches noires en forme de tunnel à hauteur d’homme. Il suffirait de glisser le vélo dedans et de fermer les bouts (comme un bonbon, un paquet cadeau…). On en achète 3 mètres50. Mais le mystère reste entier : qu’est ce que Chako devait emballer d’aussi grand et lourd qu’un Azub pour savoir où trouver un tel sac ???


Pépouzes en train
Le train de nuit démarre à 22h mais on décide d’aller à la gare pour 20h, le temps de gérer les âpres négociations avec les contrôleurs qui s’annoncent. C’est la boule au ventre, de nuit et sous une grosse averse orageuse qu’on se jette dans le trafic anarchique de Tbilisi pour rejoindre la gare à heureusement 5 petits kilomètres de là. L’entrée pour les passagers traverse un hall de centre commercial. Les chauffeurs de taxis se massent autour de nos vélos en rigolant, chacun cherchant à comprendre ce que c’est vraiment, où est le moteur etc. Ils nous indiquent par où passer pour rejoindre le quai. Arrivés sur les quais encore presque vides, on se dirige vers le premier contrôleur croisé avec nos billets, vélos en main. L’homme est circonspect. Il appelle ses collègues pour venir voir le chargement. Ils discutent ensemble, ça à l’air bon enfant. Il me dit que c’est bon mais me fait comprendre qu’il va falloir payer. Je le sais, le tarif prévu est de 5 GEL par vélo (1,50€). On se dit que c’est trop simple, qu’il va sans doute chercher à nous arnaquer. Il nous ouvre les portes du train, nous montre où les stocker (au fond du couloir à la verticale). Du coup on embarque avant tout le monde. Et on paye nos 10 GEL et pas un centime de plus, le contrôleur est souriant, ultra réglo, n’arrête pas de faire des blagues, et les vélos sont bien calés… C’est la première fois qu’on embarque nos vélos aussi facilement, on n’en revient pas, on aime déjà la Géorgie !

Et c’est parti pour 10h de train couchette, en mode ex-URSS, bien secoués par des amortisseurs pas de toute première jeunesse et des arrêts-redémarrage ultra-fréquents. La nuit n’est pas vraiment reposante. A 6h, le contrôleur frappe à toutes les portes : le train arrive au terminus, tout le monde descend. Ce n’est pas le même que la veille et il est beaucoup moins sympa. Même carrément antipathique. Il nous presse de tout sortir à toute vitesse, n’en peut plus d’attendre qu’on glisse les vélos le long du couloir et qu’on les tourne dans tous les sens pour réussir à les extraire… à peine tout sur le quai, le train repart.

Des chauffeurs de taxis tentent de nous dissuader de rallier Mestia à vélo. Argument choc : ça grimpe ! Ah bon ??? Zut, on savait pas… On est au niveau de la mer et Mestia est à 150 km de là à 1500 mètres d’altitude. Petit à petit le jour se lève et fait apparaitre au loin un mur de montagnes qui se dresse devant nous. Le même effet que nous avait fait le Vercors en 2018, mais en beaucoup plus imposant. Les montagnes du Haut-Caucase, que nous nous apprêtons à traverser, culminent à 5642 m avec le Mont Elbrouz côté Russe.

Caucasian Vibes, Caucasian Vodka
Après 30 minutes de recherche pour retrouver le compteur, constater que j’ai encore perdu les vis de mes cales, et remettre nos montures en mode gros porteur, on est enfin prêts à se lancer. Nous sommes à Zougdidi, ici tout est beaucoup plus calme qu’à Tbilisi. On serpente dans les petites rues pour rejoindre l’axe principal, entre les petites maisons et les cours fleuries, on stoppe dans un petit restaurant de bord de route pour manger notre premier Katchapouri de petit déjeuner (pain fourré au fromage fondu), on fait quelques courses pour les prochains jours dans un market aussi désorganisé qu’un bazar et enfin on s’élance, avec pour cap les hauts sommets qui nous font aussi peur qu’ils nous font rêver. On ne sait pas si on sera capables de venir à bout de toute la grimpette qui nous attend, sans aucune préparation ni entrainement. Mais qu’est-ce que c’est bon de repartir !

On a beau être partis aux aurores, la chaleur nous rattrape rapidement. On stoppe dans une station-service pour la pause de midi. La gérante nous invite à venir occuper la petite pièce toute fraiche qui lui sert de cuisine, chambre et salle de bain et nous sert un thé sucré, qui passe plutôt très bien. Elle s’appelle Kalin et se moque des touristes qui louent des voitures pour monter jusqu’à Mestia mais ne sont pas habitués à la conduite des Géorgiens, elle se demande pourquoi on n’a pas d’enfants et elle nous dit qu’elle n’aime pas Mestia. Cette rencontre chaleureuse de bord de route nous replonge elle aussi dans l’ambiance du voyage. De plus en plus on a l’impression qu’on ne vient pas tout juste de démarrer mais plutôt qu’on reprend la route, comme une continuité des expériences passées.

Mais c’est là que les choses sérieuses commencent. Nous sommes aux pieds des premiers contreforts du Caucase et la route commence à onduler pour nous faire prendre un peu de hauteur et quitter définitivement la morne plaine. La chaleur est étouffante, le compteur affiche 40°C. On avait bien pris soins de partir en octobre pour éviter les grosses chaleurs. Je suis équipée pour la neige mais pas pour l’été, on commence sérieusement à flipper. Les corps chauffent et souffrent. La montée et la chaleur cumulée, sans entrainement, c’est beaucoup pour une première journée.



Vers 16h, on commence à réaliser qu’il sera difficile de bivouaquer : la route serpente dans des gorges : d’un côté, la montagne, de l’autre, un réservoir d’eau turquoise, le barrage d’Enguri. Mais bien peu de place pour planter un tipi discrètement et dans un endroit agréable. On est rincés par cette première journée. Au détour d’un virage, on tombe sur un restaurant de bord de route qui surplombe le lac turquoise. Benoit négocie le prix pour la nuit sans voir la chambre car la propriétaire doit la « nettoyer » et refuse de lui montrer. Bon, au final, ce sera une belle arnaque. Mais surtout une super soirée ! Cinq jeunes sont attablés au restaurant et nous invitent à trinquer. Les sacoches sont encore sur les vélos mais Benoit ne se fait pas prier. Moi je commence par un verre d’eau. On se retrouve très vite à enchainer les shooters de vodka et les pintes de bière, à chanter, à se prendre en photo, à essayer les vélos, à danser au milieu de la route avec nos meilleurs amis d’un soir. Qui doivent reprendre le volant pour rentrer chez eux à 70 km de là (Zuigdidi, d’où l’on vient), avec une enfant à bord ! Heureusement l’un d’eux n’avait pas bu. Mais bon, il avait une main dans le plâtre…


Après leur départ, tout parait bien vide et silencieux, et on se retrouve tous les deux, saouls, à devoir gérer les vélos et les affaires pour les hisser dans la chambre. Oui, je dis bien hisser, car on atteint la chambre par un « escalier-échelle » sans rambarde. Benoit vacille complètement, je retrouve un peu de sang froid pour l’aider à parvenir en haut, avec l’aide de la propriétaire et de son fils. La chambre est immonde, sans lumière, les draps sans doute pas propres, mais dieu soit loué on est bourrés et on n’en a que faire ! On dort comme des bébés.

Après une douche sous un mini filet d’eau glacée on s’apprête à reprendre la route quand Benoit se rend compte que son compteur a disparu. On fouille partout, les sacoches, par terre, la chambre… rien. Impossible pour Benoit de se rappeler où il l’a mis. En même temps il ne se rappelle pas de grand chose… Tout d’un coup, la propriétaire nous voyant fouiner partout prend un air bien gêné. Elle rentre dans sa maison, ressort, et se met à chercher avec nous. Et là, miracle, elle trouve le compteur à côté de la table où on avait festoyé la veille ! Ce même endroit qu’on avait évidemment ratissé de long en large 10 min plus tôt ! On pense que c’est son petit-fils qui avait commis le larcin, il avait tout du bon client pour Benoit (qui est éducateur spécialisé pour ceux qui n’avait pas tout suivi).

La journée démarre enfin. A peine 2 km, je stoppe pour prendre une photo, et un petit chien en profite pour courir avec toute la détermination et la joie du monde en notre direction. Je le reconnais, je lui ai donné des bouts de Katchapuri (pain fourré au fromage) la veille. On le caresse et on redémarre. Il nous suit. Comme la route monte et descend sans cesse, on se dit qu’on va lui faire le coup de le perdre dans une longue descente, comme à chaque fois. Mais mini-pouce, qui ressemble à un berger allemand pollie-pocket est aussi mignonne que persévérante et nous rattrape toujours. Au bout de 10km on se dit qu’on va essayer de demander à quelqu’un de la garder dans un village, le temps qu’on s’éloigne. Mais problème : elle manque de se faire bouffer par tous les autres chiens errants et les gens n’en ont strictement rien à foutre des chiens et de notre problème. De toute façon il y a des chiens errants partout. La matinée passe et la pauvre petite bête nous suit toujours, mais on sent qu’elle fatigue et qu’elle perd ses réflexes. Elle manque de se faire écraser à plusieurs reprises. On la sauve deux fois des meutes de chien en la saisissant au vol sur nos vélos, ce qui vaudra à Ben une chute et une belle torsion du genou. Le problème c’est qu’elle ne veut pas rester sur le vélo, elle ne veut pas faire demi-tour, mais elle n’a plus la force de nous suivre et les coussinets en sang. C’est déchirant. On ne sait plus quoi faire. On ne parvient plus à apprécier dans ces conditions.

Des flics acceptent de la garder en lui donnant à manger le temps qu’on s’éloigne. Mais elle préfère rester avec nous plutôt que de profiter du repas. Nous sommes au croisement pour Mestia, il y a un arrêt pour les taxis et matroushka, on doit prendre une décision. On est à 30 km de son village d’origine. On décide que je prendrai la matroushka avec elle jusqu’à son village où je la laisserai et que je rejoindrai Benoit en stop ensuite. Mais aucun chauffeur ne veut d’un chien dans sa voiture. Je supplie, je propose de payer, je demande à des touristes ayant un tour operator privé, mais personne ne veut prendre ce chien pour le ramener, tout le monde dit qu’il se débrouillera bien. Avec Benoit, on est dépités et on se sent terriblement coupables de ne pas l’avoir rejetée dès le début. Des anglais acceptent de la garder dans leurs bras le temps qu’on s’éloigne. On repart avec la boule au ventre. Ça grimpe fort mais on doit avancer vite pour ne pas qu’elle nous retrouve. On craint vraiment de la voir débouler derrière nous comme à chaque fois. Mais cette fois ça n’arrivera pas. Il fait chaud, je suis en legging merinos alors je crève, ça grimpe, le paysage est magique, nous sommes dans des gorges étroites, mais je ne m’arrête ni pour me changer, ni pour faire une photo. Ceux qui me connaissent savent à quel point renoncer à une photo me coûte et comprendront bien la gravité de la situation à cet instant. On ne reverra jamais Mini-pouce. J’espère juste qu’elle a retrouvé le chemin de son village sans se faire dévorer par les meutes de gros chiens sur sa route. On se fait la promesse qu’on ne se laissera plus adopter par un chien.


En chemin, on croise un mec, en vélo-droit, qui est un habitué du vélo couché, un habitué de la Georgie, mais pas un habitué de la Georgie a vélo-couché. Il nous jure que nous ne pourrons jamais atteindre Mestia avec nos vélos, c’est trop raide, trop long, trop compliqué. Il voyage tous les ans et c’est la pire route qu’il connaisse, bla bla bla. On lui dit qu’on pense que ça ira, mais il insiste. D’ici 15 km, l’enfer va commencer ! Et en plus il y a deux chiens agressifs à 10km de là qui vont tenter de nous mordre. « Merci, bonne journée à toi aussi ! ».


On continue d’avancer, ça grimpe de plus en plus fortement. Mais les montées se soldent systématiquement par une redescente, grisante mais frustrante, car en attendant, on s’élève peu pour beaucoup de dénivelé positif dans les jambes. Ce soir aussi, nous comprenons que bivouaquer sera difficile. La route serpente à flanc de montagne, difficile de trouver une surface plane, suffisamment éloignée de la route. Et tout d’un coup, au détour d’un virage, le panneau tant rêvé apparait « camping ». Bon en fait il n’y a pas un millimètre de terrain plat, et encore moins de terrain de 3m de diamètre sans arbre et sans rocher. Donc on se rabat sur l’hôtel qui propose ce « camping ». On est épuisés moralement et physiquement par cette journée. Dès que le soleil se couche, la chaleur de l’été indien laisse place à une nuit humide et glaciale, la vraie nuit d’automne. Nino, la maitresse de maison, un petit brin de femme haut en couleur et en caractère nous installe prêt du poêle à bois sur lequel elle cuisine et engage les négociations. Tout y passe : prix de la chambre, de la douche, du repas, du petit déjeuner. Nino est une âpre négociatrice, on sent qu’elle a l’habitude des cyclos en perdition. Elle tente le tout pour le tout à chaque fois mais on s’en sort pas mal, pour elle et pour nous. On est tout seuls dans la maison. Le délicieux et réconfortant repas est arrosé de vin qu’ils produisent eux même, un vin rouge sucré. Et bien sûr de shots de Vodka.

Le mari de Nino sort une nouvelle bouteille pendant que Benoit est aux toilettes, il aimerait bien que je trinque encore plus, et qu’on fasse plus de selfies ensemble. Ok, compris. Je m’arrête là et la soirée aussi, pas envie de finir avec ce vieux aux intentions lubriques à peine dissimulées. Au petit déjeuner, Nino reçoit une livraison de produits frais. Il est 8h. Elle remercie les chauffeurs à grand coup de vodka qu’elle nous sert également immédiatement. Ce qui nous inquiète encore plus que l’idée de grimper toute la journée en ayant commencé par trois shots de vodka, c’est de comprendre que les chauffards qu’on croise toute la journée sont très certainement saouls, s’ils se voient offrir un shot de vodka dans chaque restaurant ou épicerie ravitaillés.




En matière de chauffard, la Georgie tient le haut du pavé. Combien de fois on s’est retrouvé, en montagne, face au mec qui double le mec, qui double mec ? Sans compter que certains ont le volant à gauche, d’autres à droite, mais que tout le monde roule à droite. Sans compter que le revêtement est rarement goudronné mais le plus souvent bétonné ou en terre et ponctués de nids de dinde. Sans compter que les voitures sont souvent cabossées et visiblement artisanalement réparées. On ne rêve que d’une chose : trouver des axes sans voiture.

Mais à part ça, la journée est splendide. Les gorges s’ouvrent sur une vallée verdoyante entourée de sommets enneigés. Ça y est, nous sommes au cœur du Grand-Caucase.



La vie parait douce en ces jours d’automne, les petites maisons de pierre et les tours de pierre typiques de Svanétie contrastent avec les couleurs flamboyantes de l’automne.








On imagine par contre les hivers rudes qui doivent immobiliser les habitants une bonne partie de l’année. C’est cette unique route que nous empruntons qui permet de rallier la plaine à tous ces villages. Et puis, Mestia. Beaucoup d’émotions en entrant dans la ville, on ressent une incroyable satisfaction et un grand soulagement : après 3 jours de route, en pleine chaleur, sans entrainement, environ 1000m de dénivelé positif quotidien, arrosés de bien trop de shots de vodka, le premier objectif est quand même atteint ! Le mode « transat power » est bel et bien activé…
To be continued…


Prem’s ! Prem’s de ouf !!
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C’est easy chez nous. Le plus dur c’est d’arriver à être le 1er à commenter en ayant lu sans s’être endormi. Balèze !
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Brest est en L1 ???
Super récit, ça fait du bien, c’est comme revoir des personnages d’une série TV qu’on a suivi, et dans laquelle on a tourné un peu, et sans donner du fric à Netflix, et avec un des héros qui guérit du cancer, comme dans Grey’s Anatomy. Et puis j’apprends que Pandji s’écrit Pandji et non Pandjee, il était temps.
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Nous non plus on est pas très au clair avec l’écriture de Pandji… ça dépend de l’humeur et des envies. C’est bien plus pratique qu’un môme rien que pour ça. Et sinon, on peut saluer l’exploit : plus de 3 semaines entre deux articles pour un voyage de 3 semaines. Le tout 6 mois plus tard. Et on peut même pas dire que c’est à cause du covid.
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Quel plaisir de vous revoir 🙏🏻
Merci pour ce nouveau partage
Portez vous bien
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Merci Sylvain, contents de te savoir toujours parmis nous !
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Quelle belle surprise! Je me régale de suivre vos nouvelles aventures. Toutes mes félicitations pour votre courage. Marc un ami d’Anne Catherine.
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Merci beaucoup !
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Superbe ! Merci merci merci
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Merci à vous deux pour pour cette dose d’optimisme. J’adore vous lire. Je suis un petit joueur face à vous. La via dolĉe est mon plus grand voyage en itinérance ! Bonne continuation et merci pour le partage. Hervé
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Voyager plus loin ne veut pas dire être plus fort. Loin de là. La dolce via nous avait donné du fil à retordre ! Merci pour les encouragements !
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J’adore! beau moyen de braver le confinement bande de rebelles!
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Rebelles sur canapé ! Vivement que notre cercle passe à 150 km 😉
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Ahhhhhhhh trop bien ! On est trop contents d’avoir de vos nouvelles !
Votre prose n’a rien perdu (toujours dans votre style ^^) et vos photos sont toujours superbes. On a hâte de lire les nouveaux épisodes.
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Merci beaucoup 😉 on traine un peu pour la suite, on a pas assez profité du confinement pour trier toutes les photos… On espère lire aussi vos prochaines aventures en famille !
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Bonjour !
Ravi d’avoir de vos nouvelles. Vous avez changé de travail ? Des projets en cours ? Bien cordialement . Et une gratouille au chien.
SUTTER-LOUSSOUARN Jean-Luc
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Bonjour ! Toujours un plaisir d’avoir un petit clin d’oeil de votre part ! Depuis un an je travaille pour le Centre Hospitalier de Rouffach, en tant que chargée de mission pour les CLSM. Je retrouve le champ des politiques territoriales de santé, et j’en suis bien contente. J’espère que vous profitez pleinement de la retraite et que les escapades en montagne sont belles.
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