Le paradis est un enfer  : premiers tours de roue de Trujillo à la chaleur du Caňon del Pato !

Jeudi 10 Septembre, 5h… L’unique sonnerie désagréable de notre téléphone de marque « VeryKool », qui est aussi l’hymne de l’opérateur surpuissant Claro, retenti… C’est le départ ! Un peu groggy et les poches sous les yeux, après une soirée bien arrosée de vin rouge pour accompagner les délicieuses spaghettis préparées par l’Italien Thomas, il faut pourtant s’activer et trouver l’énergie de trainer nos 20kg de bagages chacun et vélos vers la sortie de la casa de ciclistas ! Virginia et Guerric se sont aussi levés aux aurores pour prendre le départ aux premières heures du jour. Tous les 4 nous voulons éviter le vent de face qui se lève en fin d’après midi et la chaleur écrasante dès 10h du matin. Un dernier au revoir, plein de simplicité et d’humour, avec Thomas – qui est un personnage unique et haut en couleurs que nous sommes heureux d’avoir croisé -, Araceli et Lance, et nous voilà partis ! Lucho est parti peu avant nous, avec son apprenti coureur cycliste Jack, obligé de se lever aux aurores pour s’entrainer à la grande course qui l’attend dans quelques semaines. Courage !

La sortie de la Ville est comme les autres fois un moment détestable. Slalomer entre les voitures, les collectivos, les touks-touks, les bus et les camions nécessite un bon self contrôle, une certaine confiance en soi pour s’imposer et beaucoup d’habitude. Comme c’est moi qui ait le GPS je dois naviguer en tête, et je n’en mène pas large. Et sur le bord de la route, ou fenêtre ouverte, tout le monde y va de son petit commentaire en nous voyant passer, de « que bonita la bicicleta », a « guapa » et même « que loca »… Tous les goûts sont dans la nature, mais en tout cas, notre convoi de 4 vélos chargés ne laisse personne indifférent, et encore moins nos vélos bizarres qui font carrément exploser de rire les gens que nous croisons. On ne sait pas si ils se moquent, ou si ils trouvent que c’est vraiment très très drôle, en tous les cas, c’est rigolo de les voir rire ! On arrive enfin sur la panaméricaine que l’on doit suivre pendant environ 90km. Cette perspective ne me réjouit pas du tout, car c’est une sorte d’autoroute mais à deux voies, blindée de bus et de camions, où les gens roulent comme des fous et n’ont que faire des petits cyclistes en bord de route… La première montée nous fait redécouvrir des sensations musculaires oubliées !

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La route est une succession de longues montées, de zones de faux plat et de quelques fabuleuses descentes. Quand Virginia me dit « ah, ça fait du bien de rouler un peu sur du plat !» alors que je retrouve à peine mon souffle dans ce qui ma semblé être une interminable montée, je commence à avoir des sueurs froides et à prendre conscience de l’exigence physique de ce qui nous attend. Nous sommes chanceux, à peine quelques km après Trujillo, des travaux sont en cours pour doter de deux nouvelles voies la route. Les ouvriers nous autorisent à utiliser cette portion en construction pour nous protéger des voitures. Elle est juste interrompue de temps à autres par des travaux, mais globalement, nous bénéficions sur presque tout le trajet d’une piste cyclable de luxe, fraichement goudronnée, qui nous permet de nous concentrer sur le paysage plutôt que sur le trafic. Le paysage est étonnant : des dunes de sable et des montagnes minérales, entourées de champs de cannes à sucre. Dans cette zone désertique, au manque d’eau latent (il y a chaque jour des coupures à Trujillo) les champs sont arrosés par la méthode du goutte à goutte. Après 67km, nous arrivons à Chao où nous décidons de trouver ensemble un lieu pour dormir. Chao est une petite ville sans grand intérêt touristique, du coup, pas de distributeur, et juste un petit marché pour faire ses courses. Bien cognés par le soleil de fin de journée, on s’y attarde pour boire un jus de fruits frais pressés. Malgré la négociation en espagnol de Virginia, nous observons une inflation record de 50cts à 1 sol par jus de fruits entre la commande et la consommation ! La jeune fille nous explique après coup que l’ananas, c’est plus cher que la papaye, que les prix annoncés c’était pour des jus en conserve et pas des fruits frais et bla et bla et bla… Les fluctuations aléatoires du marché, quelqu’en soit l’échelle, font toujours des heureux et des malheureux 😉

Autant, il n’est pas compliqué de se loger en campagne discrètement, autant aux alentours d’une ville cela devient compliqué et nécessite de trouver un emplacement sécurisé, vu tout ce que l’on transporte. Un « agent de sécurité volontaire » (il se porte volontaire pour faire vigile et aider la police) rencontré sur la Plaza de Armas de la ville nous a conseillé de nous référer à la Police pour tous nos besoins, en nous disant « ils ont pour consigne de vous accompagner en convoi si besoin, de vous aider, ils doivent protéger les touristes ». L’idée du convoi ne nous inspire pas et nous fait plutôt marrer. Par contre, si la police a pour consigne de nous protéger, ne pourrait-elle pas nous aider à trouver un coin secure pour poser la tente ? Malgré les soi-disantes consignes, l’accueil est plutôt froid, et le Sous-Chef, en responsabilité ce soir, nous invite à planter la tente au milieu de la Plaza de Armas, ou sur un terrain jonché de détritus à côté du commissariat qui donne sur la panaméricaine, ou à demander à la Mairie qui a un petit patio. Mais pas question de rester au commissariat. On rigole de sa proposition de la Plaza de Armas : imaginez-vous camper en plein milieu de la place de la réunion à Mulhouse, ou devant l’Hôtel de Ville, à Saint-Nazaire… Bref, sur la place principale d’une ville de 25.000 habitants. Dans un village, peut-être, mais là… Du coup, j’accompagne Virginia qui va demander à la Mairie, et on se retrouve orientée de bureaux en bureaux, jusqu’à la responsable de la communication de la Ville qui est très contente de nous dire qu’en accord avec le Maire, nous pourrons nous installer dans le petit patio de la police Municipale, à l’arrière. Le soucis, c’est qu’il est entièrement pavé, pas accessible avant 21h, et qu’il y aura des rotations d’agents municipaux à 23h et 5h… Bon, mais c’est mieux que rien. En attendant, on s’installe sur la Plaza de Armas pour attendre et cuisiner, vite envahis par des badauds curieux !

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On obtient la garde et la bénédiction de notre « agent de sécurité volontaire » pour boire une bière et cuisiner sur la place. Les locaux sont un peu stupéfaits devant ces « Gringos » sans domicile fixe… Certains nous regardent simplement, d’autres viennent nous parler. S’en suivent des échanges très sympathiques, une démonstration d’acrobaties à vélo par deux petits jeunes très doués (sans les mains avec un peid sur la selle!)… un bon moment autour d’une bonne bière, d’un bon guacamole maison et d’une soupe improvisée qui fait du bien à l’estomac. Vers 20h, on voit débarquer sur la place le Sous-Chef du commissariat, qui nous avait éconduit 3h plus tôt. Il nous dit d’un ton très solennel, « en accord avec le Chef, la Police vous accueille dans ses locaux pour la nuit » et en pointant du doigt « l’agent de sécurité volontaire », ajoute « vous serez témoin que la Police de Nationale de Chao a proposé d’accueillir ces personnes ce soir ». La situation est saugrenue, on a maintenant le choix des accueils ! On ne sait pas ce qui s’est passé en 3h pour faire bouger les choses, ni pourquoi la police nous accueille tout d’un coup. Une habitante avec laquelle on discutait, ainsi que « l’agent de sécurité volontaire » nous recommandent de choisir l’offre de la police, plus confortable selon eux et mieux au niveau sécurité. On les écoute, et on arrive au commissariat, accueillis par des jeunes sympathiques et curieux armés de kalachnikov. Avant que le Sous-Chef nous ouvre les portes gigantesques qui masquent complètement la cours du commissariat, Benoit se marre en disant « Et vous allez voir, ça va être une grande pelouse ! ». Et bien mieux que ça, c’est une grande pelouse ultra moelleuse, avec des buts de football, des canards qui courent partout, un clapier pour les cochons d’Inde. Une sorte de pays de Candy. Les toilettes ne font pas rêver mais elles ont le mérite d’exister et cerise sur le gâteau, il y a une douche… gelée mais vivifiante après une longue journée !!!

Au petit matin, on déjeune sous l’oeil surpris des policiers (et des canards) qui viennent nous poser des questions. On les interroge à notre tour sur la présence de tous ces canards et cochons d’inde, et on apprend que c’est leur production personnelle pour le banquet du dimanche ! Sympa d’être flic à Chao !

On reprend la route. Plus que 15 km sur notre piste cyclable de rêve le long de la panaméricaine, et on découvrira pour la première fois la joie des pistes péruviennes. Benoit n’est pas bien du tout, il a la turista et pas d’énergie. Nous partons tard et nous sommes vites assaillis par la chaleur, ce qui ne l’aide pas. Nous traversons une région déserte et rocailleuse, bordée de montagnes aux tons orangés. Je ne m’attendais pas à découvrir de tels paysages dès le début du voyage, c’est incroyable, un rêve éveillé ! Les contrastes sont magnifiques, on se sent minuscules et privilégiés. Nous sommes assez seuls sur cette route, où nous croisons parfois des 4X4 qui foncent ou des camions de chantier qui klaxonnent pour nous saluer sans ralentir. Par contre, pas d’ombre et pas de vent frais, une route caillouteuse assez difficile pour nos organismes non exercés et nos vélos bien chargés. La fin de la journée nous achève. Alors que nous sommes seulement à 5 km de notre point d’arrivée, on se retrouve obligés de suivre une déviation qui nous fait gravir une colline que la route traditionnelle nous faisait contourner. Une longue montée à 10 % de moyenne, dans le sable et les cailloux, dur dur, pour moi, et surtout pour Benoit qui n’en peut définitivement plus. Mais arrivés au sommet, nous sommes récompensés par une vue magnifique sur les deux vallées, l’une désertique, l’autre verdoyante. Virginia et Guerric dégotent un petit coin idéal pour camper, au coeur de la vallée verdoyante, entre champs de mais et d’artichauts, qui malgré des dizaines de petites mouches qui nous piquent jusqu’au sang, nous offre un cadre magnifique.

Au réveil, Benoit se sent un peu mieux, mais moi je ne vais pas bien. Les travailleurs qui viennent récolter les champs d’artichauts sont surpris de nous trouver ici, et on doit se plier à quelques séances de photos. Moi qui suis toujours gênée de prendre des gens que je ne connais pas en photo, je constate que ce complexe n’est pas vraiment partagé par ici !

Pour remédier à nos problèmes d’estomac, on décide de lancer l’opération « colmatage » qui consiste à : manger du riz, rien que du riz, à chaque repas, boire du coca dégazé, et boire beaucoup, beaucoup d’eau. On débute donc la matinée dans un petit restau du Village de Tanguche, voisin de notre champ de bivouac, pour manger du riz et boire du coca. Le temps de commander, de déjeuner, de faire quelques emplettes et de répondre positivement au propriétaire du restaurant qui veut absolument qu’on fasse une séance photo ensemble (et qui se révèle très très exigeant sur le cadrage et la place de chacun sur la photo) il est déjà 9h45 et il fat déjà bien plus de 30°. Je vis cette route comme un enfer. Le Rio Santa est à nos pieds mais inaccessible, pas de possibilité de se tremper pour trouver un peu de fraicheur. Les montées ne sont pas violentes, mais sous la chaleur étouffante elles me semblent insurmontables. Et tous ces cactus sur le bord de la route donnent un caractère encore plus dramatique à la scène. J’ai l’impression que je vais tomber sous la chaleur et que les vautours qu’on croise partout vont venir me déguster vite fait bien fait… Je craque ! Tout le monde souffre de la chaleur donc on décide de trouver un endroit pour se poser, où il y ait de l’ombre et un accès au Santa pour se rafraichir. On trouve un endroit qui semble correspondre à ces critères, où l’on est accueilli par un petit bonhomme, qui nous explique qu’il y a un endroit beaucoup plus adapté à nos besoins à 300m de là, en descente. Ok, ni une, ni deux, on y va. On maudira le petit monsieur en constatant que non seulement il n’y a presque pas d’ombre mais en plus qu’il l’y pas d’accès au Rio, juste un petit ruisseau bien crade… C’est la désillusion totale ! On décide de filtrer l’eau du ruisseau pour la mettre dans une vache à eau et s’en faire une petite douche pour se rafraîchir, c’est déjà mieux que rien ! On restera quand même plus de 3h à faire la sieste et attendre que la chaleur s’atténue. Benoit et moi n’arrivons pas trop à avaler quoi que ce soit. En repartant, je subit ma première crevaison péruvienne, à cause d’une de ces vilaines épines de près de 5 cm qu’on trouve partout sous les arbres. J’étais partie pour prendre de l’avance, et finalement, ça a bien ralentit tout le monde, good job ! On arrive quand même avant le couché du soleil à Chuquicara, une ville sans aucun intérêt, si ce n’est de pouvoir se ravitailler, à prix fort (= à prix gringos) avant l’entrée dans le Caňon ! On trouve encore une fois l’ « hospitalité » à côté du commissariat, mais cette fois, n’avons pas accès à la douche et le terrain proposé est en fait le WC géant des chiens du coin…

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Pendant que tout le monde bosse, la proprio du vélo prend les photos, logique !

Nouvelle stratégie validée par tout le groupe : on se lève aux aurores, pour pédaler sous la « fraicheur », on fait une pause aux heures chaudes. Le réveil sonne à 5h, mais on ne prend la route que vers 7h20, la force d’inertie des groupes se vérifie tout le temps… Nous rentrons dans le canyon, la route est bien pourrie, très pierreuse, mais les paysages sont spectaculaires. Nous évoluons soit dans des conduits rocheux étroits, soit dans de plus larges vallées où la nature reprend un peu place. Le paysage est tout de même à 80 % minéral, composé de roches jaunes et orangées, de cactus et de plantes grasses. Et toujours le rio santa qui courre à nos pieds sans se laisser trop approché. A midi, anéantis par la chaleur (plus de 50° selon le compteur), nous trouvons refuge dans une grotte qui visiblement sert de WC public aux personnes qui circulent dans le coin. Appétissant. Un peu plus loin, nous découvrons finalement une habitation abandonnée avec un petit abris, idéale et moins glauque pour faire une sieste. Mais le vent se lève, et emporte avec lui le drapeau Vélofasto du vélo de Benoit et la casquette de Virginia… Mon drapeau étant cassé depuis 2 jours, nous n’avons déjà plus rien qui flotte à l’arrière de nos vélos ! La journée aura été rude pour Benoit et moi. Non seulement parce que nos estomacs sont toujours réfractaires à se plier à l’opération colmatage, mais aussi parce que cette route de pierre nous semble bien difficile avec nos vélos chargés comme des mules et notre petite roue de 20 pouces à l’avant. La suspension absorbe bien les chocs, mais on a l’impression que notre petite roue demande plus d’effort pour rester stable et affronter les pierres que les roues de 28 pouces de nos compagnons de route. Notre moyenne est de 7 km/h sur cette piste et je dénombre 3 chutes dans les cailloux, sans gravité, mais c’est dur pour le moral. Je commence à me demander si on ne s’est pas trompé, si j’en serai capable, et bla bla bla et vlam, badaboum. Aucune seconde d’inattention n’est permise sur les pierres ! Le vélo est propice à la méditation, mais sur des routes difficiles, il faut rester vigilant pour ne pas finir dans le fossé. Heureusement, pour finir la journée, nous trouvons un spot de bivouac idéal, dans une petite vallée, entouré de belles montagnes, et qui nous permet, enfin, de nous laver dans le Santa ! Les voyageurs des bus qui circulent de temps en temps en contre-haut ont dû bien se marrer à la vue des Gringos en sous-vêtement dans l’eau marron du Rio Santa ! Mais pour nous, c’est le bonheur, après une journée de transpiration et de poussière soulevée par les camions collé à nos peaux et nos vêtements, et en plus dans un cadre magnifique. A défaut de l’être vraiment, on se sent tous propres !

On reprend notre route de cailloux, au petit matin, pour profiter de la fraicheur. A 8h00, le compteur de Benoit affiche déjà 29°. A 9h, plus de 35. Nous entamons une montée qui s’avère pour nous très difficile. Les jambes ne suivent pas, nous n’avons pas d’énergie pour faire avancer nos vélos sur les pentes caillouteuses, les ventres sont tordus et nous obligent à des pauses, et le souffle ne suit pas. Une nouvelle chute dans la montée, glissade sur une grosse pierre, et c’est le mental qui s’écorche. Au détour du virage qu’on a mis tant de temps à atteindre, on découvre que ce n’est que le début de la montée, qui va se faire en lacet jusqu’au village 3,5 km plus loin. En plein soleil et sans ombre. Ce n’est rien, mais ça me paraît impossible. Benoit aussi est K.O. Aujourd’hui est le premier jour où il n’y en a pas un pour motiver l’autre. Le paysage est splendide, et je n’ai même pas envie de prendre de photo, ce qui chez moi est un indicateur majeur de mal-être. On s’était dit avant de partir que ce qu’on avait envie s’était de découvrir, de profiter à notre rythme et de nous faire plaisir. Là où il n’y a pas de plaisir, rien ne sert de se forcer. On se dit, presque d’une seule voix et d’un commun accord, qu’on arrêtera la prochaine voiture qui passe pour nous porter jusqu’au village… et miracle, alors qu’on a croisé presque personne depuis ce matin, un pick-up pointe le bout de son nez dans le virage ! Le chauffeur est au début réfractaire, mais finalement nous charge, pris de pitié. Il nous convainc même d’aller avec lui jusqu’au bout de notre étape du jour, à Huallanca, à 18 km de là, et à l’arrivée nous trouve un hospedaje nickel pour nous reposer ! Il s’arrête même en route pour que je puisse prendre des photos, trop chou ! Au final, après les 4 km de montée, il y avait presque 14km de descente (et quelques grosses montées quand même) et un paysage splendide, je me prends à regretter dans la voiture de n’avoir pas fait du vélo. Mais c’est une bonne occasion pour Benoit de reprendre des forces, sa santé se dégrade de plus en plus, et il passera le plus clair de la journée au lit, à boire une superbe mixture préparée par son infirmière-sorcière préférée : eau, sel, sucre, et citron vert… Beurk ! On passe donc la journée à Huallanca, qui est décrit dans plusieurs blogs comme un village sordide où les gens sont peu sympathiques. Nous n’avons pas vraiment ressentis ça. Ils sont froids de prime abord, mais sympathiques une fois le contact noué.

LA MINUTE « ON NE SE COMPREND PAS »

Vers 14h, on se décide à trouver un endroit pour manger, du riz évidemment. Ce ne sont pas les endroits où manger du riz qui manquent, mais vu l’état de Ben, on cherche le plus propre qui soit. On tombe sur un hôtel très bien tenu, accueillis par une dame douce, charmante, très type « maitre d’hôtel » qui nous installe à une table. On discute des plats, elle nous donne les prix, je lui demande si on peut prendre un plat pour deux, j’ai l’impression qu’elle dit oui et que la commande est passée. On commande des boissons qu’elle nous apporte tout de suite, puis elle va s’assoir. On se dit « tient, elle prend son temps pour aller en cuisine ». Elle est à l’ordinateur, puis répond au téléphone, puis sert des clients qui rechargent leur crédit téléphone. On se dit « tient, elle doit faire préparer le plat ailleurs ». A un moment elle va en cuisine, on a bon espoir qu’elle prépare quelque chose, mais la cuisine reste éteinte et on la voit seulement faire bouillir de l’eau et essuyer ses assiettes. Le temps passe, elle ne nous a pas posé de couverts, et je vois Benoit se liquéfier devant mes yeux, il a besoin de manger et de dormir, mais rien ne vient. Il est 15h… Au bout de deux allers-retours infructueux dans la cuisine, je finis par demander à la dame si on peut avoir le plat de poulet avec du riz qu’on a commandé, et là elle me répond surprise que ce ne sera pas possible, et puis il y a du piment, ce n’est pas bon pour ce qu’a Benoit ! Ah ok, c’est gentil de le protéger comme ça mais ça aurait été sympa de nous en informer… Au final, alors qu’il est sur le point de tomber de sa chaise d’épuisement, elle lui prépare une tisane brulante de feuilles de coca, qui lui demande de rester à table 20 minutes de plus… Au final on sort du restau à 15h45 mais sans avoir mangé ! Il faut vraiment qu’on progresse en espagnol, dès qu’on s’éloigne de Virginia, c’est moins facile pour survivre !

Heureusement, la gérante de notre hôtel a gardé du riz qu’elle a cuisiné pour elle ce midi et nous l’offre, ce qui a permis à Ben de reprendre des couleurs et de se recoucher rapidement. De mon côté, je retrouve Virginia et Guerric qui sont installés pour la nuit au terrain de sport municipal. Pas de pelouse mais un petit coin de bitume couvert où il est possible de dormir, il y a même toilettes et douche, et une piscine municipale ! Le luxe total et le bonheur pour les cyclos après l’effort ! Nous avons ces derniers jours des rythmes bien différents, et nous avons l’impression d’être parfois des boulets à trainer, vu notre état de forme et notre difficulté dans les routes caillouteuses (qu’on aura quand même suivi pendant plus de 70km…). C’est naturellement que nous continuerons chacun à notre rythme, en prenant un vrai plaisir à se croiser et à se retrouver le soir ! Débuter avec des personnes expérimentées aura été pour nous très rassurant et réconfortant, plein d’enseignements concrets sur la vie du cyclo-voyageur en Amérique Latine. Avant de me coucher, je me décharge de quelques objets en trop que j’avais emporté que j’offre à la gérante de l’hôtel qui est très contente : ma chemise et ma jupe pour les jours « off » (on aurait dit Dora l’exploratrice de toute façon) ; mes supers crayons aquarallable et mes beaux feutres achetés à prix d’or avant de partir mais qui pèsent excessivement lourd et que je n’utiliserai, j’en ai l’impression, jamais ; notre bouquin Assimil d’espagnol, on fait des progrès en discutant, pas le nez dans le bouquin ; de la lessive à la main, le savon fait bien l’affaire ; etc. On apprend peu à peu à se défaire, et ça fait du bien dans les montées ! Contente mais se sentant redevable, elle m’offre en retour un thé à l’Anis ultra concentré, « pour lutter contre la constipation de Benoit » (euh, mais en fait, c’est l’inverse seňora…) et plein de médicaments pour le ventre. Je préserve Benoit de la consommation de ce thé hautement risqué dans son état en le consommant moi-même, initiative qui se révèlera stupide par la suite…

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Avant notre ville d’arrivée, Caraz, où nous comptons nous poser, il nous reste une étape, et pas des moindres : la partie étroite du Caňon del pato, dans laquelle s’enchaine 37 tunnels en pierre non éclairés bien surs, qui nous fera passer de 1400 mètres d’altitude à 2300. On se lance à 6h du matin, aussi frais que possible entre la turista persistante de l’un et les suites du thé à l’anis de l’autre, mais dopés à la boisson énergisante et à l’infusion de feuilles de coca que nous gardons dans une thermos. A peine sortis de Huallanca, nous sommes pris de vertiges en voyant un camion entrer dans le premier tunnel, tout en haut de la montagne qui nous surplombe, après une longue route en lacet. On a signé pour en ch… alors on se lance, à notre rythme. Au fur et à mesure on espace les pauses et on finit par arriver assez facilement à ce premier tunnel. Il faut imaginer une route étroite, à flan de montagne, ne laissant la place qu’à une voiture, mais dont la circulation se fait pourtant à double sens, et des tunnels noirs tout aussi profonds !

Heureusement, on avait anticipé le coup et acheté à Trujillo des gros klaxons à air, comme sur les petites voitures de manège, qui nous permettent de nous annoncer dans les tunnels. Après cette première cote, la montée se fait plus progressivement, et est agréable. Depuis Huallanca, nous avons retrouvé le bitume, ça nous change la vie. Les tunnels les plus longs, dans lesquels la lumière ne passe pas sont vraiment effrayants : on zigzag complètement, on devine le revêtement et la courbe de la route mais tout est une surprise, bonne ou mauvaise… et on klaxonne en choeur pour signifier aux voitures et camions notre présence. Tout se passe pour le mieux, jusqu’au tunnel N°11…

On arrive au dernier tunnel vers 10h du matin. On n’en revient pas, on est vraiment fiers de nous, l’autosatisfaction fait du bien parfois ! Un arrêt obligatoire prolongé et on retrouve nos amis de route Guerric et Virginia, avec deux autres voyageurs rencontrés à la casa de Cyclista, qui sortent eux aussi du Cańon ! On imaginait tous y passer plus de temps ! Il nous reste 20 km pour rejoindre Caraz, et malgré les maux de ventre qui reprennent, on à la pêche et le moral ! Mais à midi, lorsqu’il ne reste plus que 7km avant l’arrivée, on constate qu’il reste encore 200m de dénivelé à gravir pour arriver à destination. Il fait de nouveau bien chaud, aux alentours des 35°. Au milieu d’une belle cote en lacet, on s’arrête pour se poser à l’ombre reprendre des forces. Le ventre de Benoit en profite pour se rappeler à lui de manière douloureuse. Vent de face et soleil au Zénith, on reprend la route pour 5km d’une montée qui nous paraît interminable.

Arrivés à l’hôtel, on monte vélos et bagages dans la chambre. Benoit est vraiment patraque, il a de plus en plus de fièvre. Après avoir pris conseil auprès du Dr Tron, je demande à une pharmacie où trouver un cabinet médical avec laboratoire. Je traine Benoit dans un touktouk (voir définition ci-dessous) et nous voilà chez le médecin (deux rues plus loin en fait). Après un examen et une prise de sang, il s’avère que le courageux Benoit est atteint d’une infection bactérienne modérée. Au programme des prochains jours : antibio et réhydratation, poulet frit interdit !

Nous sommes en ce moment en pause à Caraz, en attendant de reprendre des forces avant de troquer nos vélos pour les chaussures de rando à la découverte de la Cordillère Blanche et du trek Santa Cruz !

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Touktouk « Engin motorisé à trois roues, permettant à une personne de véhiculer plusieurs passagers dans une minuscule cabine arrière et leurs bagages sur une plateforme attachée. Le Touktouk se caractérise par sa grande souplesse de conduite, mais aussi par son manque de tenue de route. Il est aussi bien présent sur les routes nationales et en campagne qu’en milieu urbain. Ce qui fait le charme unique du Touktouk, c’est sa personnalisation et son aménagement qui en font un véhicule unique : symbole Nike sur l’aile latérale pour certains, dragons cracheurs de feu pour d’autres, sièges en cuirs et petits rideaux, le Touktouk est idéal pour laisser libre court à sa créativité et faire parler sa vraie personnalité ».

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13 réponses à “Le paradis est un enfer  : premiers tours de roue de Trujillo à la chaleur du Caňon del Pato !

  1. Ajajaye mais Mouk aurait il menti tout n’est donc pas parfait sur la voie du cycloturismo?!? Force et honneur à vous (ainsi que l’eau du riz)! Et le petit film de suspens au milieu des splendides paysages…excelente!! Besos chiquitos

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  2. Allez courage les cocos!!! C’est vrai que vous avez attaqué dur là aussi!! Mais la méchante bactérie dégommée; tout va revenir dans l’ordre et vous allez voir les lacets et les montagnes d’une autre manière!!! Nous les montagnes c’est ce que l’on a préféré!!! Allez bisous, soignez vous bien et gardez le moral surtout!! Ciao! David et Marie les cyclos bretons de Rennes!

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  3. Ohlala ! Les paysages sont magnifiques! Magnifiques! Forza pour vaincre turista, bactéries et autres! Bisous et un bonjour de Béatrice ( les visiteurs de prisons ) ! Je « vous lis » chez le coiffeur avec de l allu sur la tête…. Le décalage est délicieux!!!

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    • Ah oui j’imagine ! Tu passes un bonjour affectueux de ma part à Béatrice et Astrid de ma part stp ? Je vais écrire à Astrid dès que je trouve une carte postale digne de ce nom ! Forza à toi, il y a des combats plus rudes qu’une turista au paradis ! Bises

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  4. déjà, le sens des mots n’est plus le même : tiens le mot « bonheur » a pris une autre dimension ; pareil pour les mots « luxe », « fraicheur », « plat cuisiné », « tunnel », « plat », etc…. ça, déjà, c’est pris ; quelque chose est gagné mais, on va continuer avec vous ; on va même essayer de souffrir un petit peu avec vous !!
    christian

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  5. Coucou les jeunes…. désolés des soucis de sante…le Pérou n’est pas un long pays tranquille..J’espére que vous pourrez rester avec d’autres cyclistes sinon c vraiment dur. Courage, on pense a vous tres fort.
    On prend l’avion demain (oui, les anciens s’économisent…), retour en France, il parait qu’on grelotte..
    Bises de MFrance et Bernard + S et S

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  6. Ouch !!
    Les sentiers sont tout l’inverse des paysages, ils font vraiment pas envie ! Vous pédalez un peu dans un environnement post apocalyptique à la Mad Max, bien sec et aride, trop cool
    Là on sent que vous avez morflé ! Surtout le pauvre Ben, mais je me doute du pourquoi : à chaque plat il doit se sacrifier et tout goûter avant Alice, eaux et nourritures, pour lui dire si c’est comestible ou non, au risque de manger toutes les saletés avant, d’ailleurs il mange volontairement toutes les bactéries pour te préserver, toi Alice, quel grand coeur…

    Le gras doit commencer à se consumer, les fibres musculaires des quadriceps, grand fessier et des mollets se fortifient et s’allongent, le systêmes digestifs mutent, vous êtes en train de devenir des Alice et Benoît version 2.0. Rien ne pourra bientôt plus vous arrêter !

    Et on veut plus de vidéo ! Ca fait du bien de vous entendre à défaut de vous avoir vu en mouvement. Si l’occas’ se présente, il faut que Ben mette à jour l’application GoPro, elle permet maintenant, apparemment, de pouvoir partager des vidéos (en devant les rogner pour pas qu’elle soit trop longue) sur les réseaux sociaux assez facilement.

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